Réflexions sur la rétroaction

Par Janine Karam

POURQUOI JE T’EN PARLE

Parce qu’on est des êtres vivants et la rétroaction est inhérente est une condition inhérente à la vie. Le fœtus commence à réagir très tôt dans le ventre de sa mère à la voix douce de son père. Ces derniers célèbrent en pompe le premier caca au pot de leur enfant. Il.elle sourit quand il.elle voit le prénom de son chum sur l’écran de son téléphone portable, les enseignants notent les élèves dans les écoles, le policier donne des tickets aux détracteurs et arrête les criminels, les gestionnaires pratiquent des évaluations de performance annuelles dans la plupart des organisations. Des rétroactions, on en donne et on en reçoit quotidiennement et à toutes les sauces.

Entre « candeur radicale » (être complètement transparent) et « empathie dévastatrice » (garder pour soi ce qui pourrait, fort probablement, aider l’autre), qu’elle soit positive, négative, constructive ou destructive, etc., la rétroaction vise à exprimer un feedback à son interlocuteur sur ses actions/paroles et d’obtenir une modification ou un renforcement desdites actions/paroles; j’ai une réserve concernant cette 2e partie, je te l’expliquerai à la fin de l’article.

NEUROSCIENCES DE LA RÉTROACTION : COMMENT ELLE AFFECTE LE CERVEAU

  1. Réaction émotionnelle :

La rétroaction peut provoquer des réactions émotionnelles dans le cerveau, en particulier dans les régions associées aux émotions comme l’amygdale. Les feedbacks négatifs peuvent activer des zones du cerveau liées au stress et à l’anxiété.

  1. Récompense et motivation : Les rétroactions positives ont la capacité activer le système de récompense du cerveau, libérant des neurotransmetteurs comme la dopamine, qui renforcent le comportement, nous motivant ainsi à le reproduire.
  2. Apprentissage et plasticité cérébrale : La rétroaction, en particulier lorsqu’elle est constructive, peut favoriser l’apprentissage en renforçant ou en modifiant les connexions neuronales. Ceci peut se manifester par des changements physiologiques dans le cerveau, associés à la plasticité cérébrale.

 

SUR LE PLAN HUMAIN, À QUOI SERT-ELLE AU JUSTE?

  1. Nous défendons nos intérêts et nos valeurs en exprimant notre rétroaction, afin de ne pas être soumis aux décisions des autres. Qui ne dit rien consent, n’est-ce pas? Le fait d’exprimer ce qui nous chicote permet de se libérer de la pression interne et d’éviter les frustrations.
  2. En faveur de la liberté d’expression : pour se libérer de l’influence, parfois intimidante, parfois dévastatrices, exercées par certaines personnes ou certains milieux sur nous (comme le mouvement #metoo, entre autres).
  3. Elle permet d’améliorer notre interaction avec l’autre en nous faisant mieux connaître par lui, pour l’informer du genre de relations que nous souhaitons entretenir et lui donner la possibilité de décider, de rester, ou non, dans ladite relation, nonobstant sa nature.

 

AU CŒUR DES PRATIQUES DU LEADERSHIP

Dans le domaine organisationnel, donner (et plus récemment, recevoir) de la rétroaction constitue une composante importante du rôle du leader vis-à-vis ses collaborateurs. Pour optimiser les bénéfices de cette pratique inhérente à son travail, voici quelques suggestions de réflexion.

  1. Know yourself: développe une bonne conscience de toi-même et de tes préjugés

Sais-tu généralement quel style de rétroaction tu fournis? Es-tu conscient de l’impact de ton style de feedback sur l’autre? Qu’est-ce qui motive généralement la rétroaction que tu donnes ? Quel genre de rétroaction aimerais-tu recevoir? Pourquoi souhaites-tu, ou ne pas, recevoir de la rétroaction? Etc.

Une réflexion à ce sujet, individuelle ou avec l’aide d’un expert, te permettra de faire preuve de sincérité et d’intégrité envers toi-même et tes collaborateurs.

Rappelle-toi qu’un peu d’autocritique (ex. : quels changements je peux implanter pour être plus empathique?) constitue une remise en question intéressante, sans verser dans l’autoflagellation et le syndrome de l’imposteur.

  1. Know your audience: NON, on ne peut pas dire n’importe quoi à n’importe qui, n’importe comment et n’importe quand

Il est primordial de considérer certains facteurs pour que ta rétroaction ait l’effet souhaité auprès de ton interlocuteur, tout en préservant un climat de sécurité psychologique:

a. La dynamique hiérarchique :

Même si tu es doté de la bienveillance le plus noble, ton collaborateur peut percevoir ta rétroaction comme une manifestation d’autorité, du simple fait que tu sois son supérieur, et il peut être réticent à discuter ou la contester avec toi. Cette réaction est en étroite corrélation avec son estime de soi et la crainte de conséquences négatives sur sa carrière. Si ta rétroaction ne prend pas en considération ce facteur, ça peut devenir une barrière à une communication ouverte et honnête et à une rétroaction constructive.  

b. La diversité culturelle :

« Ne faits pas à l’autre ce que tu voudrais qu’il te fasse » mais « faits à l’autre ce qu’il aurait fait à lui-même » prend tout son sens lorsque l’on donne une rétroaction à un collaborateur issu d’une culture autre. Effectue tes recherches et examine des aspects tels que le direct vs l’indirect, le langage non verbal, l’approche vis à vis l’autorité, les normes culturelles, etc.; remets les choses en perspectives, tout en évitant les stéréotypes. En adaptant ta rétroaction à ces diversités, tu fais preuve d’une sensibilité interculturelle et d’un esprit inclusif et respectueux.

c. Les stéréotypes de genre :

Une même rétroaction est perçue différemment par les hommes et les femmes, en raison de divers facteurs, tels que les disparités sociales, culturelles, biologiques et psychologiques. Les études montrent, entre autres, ce qui suit:

  • Les femmes qui font des commentaires francs risquent d’être perçues comme étant agressives.
  • Les femmes donnent beaucoup de feedback et de commentaires à d’autres collègues femmes.
  • Les femmes maitrisent l’art de l’autocritique!
  • Les femmes sont confrontées à des obstacles de discrimination et de préjugés plus lourdement que le sont les hommes.
  • Les hommes donnent souvent des rétroactions non sollicitées à des femmes. Le contraire n’est pas vrai.

 

À vous messieurs, je me permets de vous fournir un conseil : Si vous souhaitez donner une opinion NON sollicitée à l’une de vos paires, commencez par lui demander un retour sur votre propre travail. Vos rétroactions seront perçues comme un soutien/collaboration et plutôt qu’une tentative de faire valoir votre domination sur elle.

d. La diversité générationnelle :

Le visage générationnel des équipes a beaucoup changé ces dernières années. Il est courant de trouver quatre générations qui interagissent au sein d’une même équipe. Le plus âgé est souvent considéré par le plus jeune comme ne pouvant plus suivre le rythme, alors que le plus jeune paraît déplaisant, le plus souvent. Les rétroactions des uns fournies aux autres reflètent cette perception. Il est important de se rappeler, SANS GÉNÉRALISER, que les baby-boomers et la génération X sont partisans de l’évaluation annuelle des performances. Les premiers l’ont introduite, les deuxièmes l’ont sacrée et ont amorcé la rétroaction ascendante (du collaborateur vers son gestionnaire). À l’autre bout du spectre générationnel, les milléniaux et les zoomers ont grandi avec des rétroactions informels et instantanés (les likes et autres réactions sur Facebook, Instagram, Youtube, TikTok (plus récemment), etc.). Ils y ont développé une résilience émotionnelle et y sont moins « sensibles » que leurs collègues plus âgés.  

POUR RÉUSSIR TA RÉTROACTION

  1. Le contenu

Concentre ta rétroaction sur le travail, l’énergie déployée, les comportements, tout élément concret et mesurable plutôt que sur ton ressenti qui n’aiderait pas votre collaborateur à progresser. Ne débute jamais tes phrases par : Tu as tort!

  1. Intégrité et honnêteté

Si tu es constamment dans le politiquement correct, tu risques de provoquer des comportements passifs-agressifs, de l’hypocrisie ou des relations manipulatives à cause de la frustration qui s’accumule. Évite également de recourir à la technique du sandwich : ne dissimule pas ta rétroaction entre deux « éloges », le collaborateur percevra sûrement ce que tu essaies de « camoufler (sugar-coating) » et ceci aura un impact négatif sur votre relation. Fais preuve d’honnêteté et exprime-toi ouvertement, en prenant en compte les facteurs mentionnés dans la section précédente. Un feedback constructif est le meilleur moyen d’aider quelqu’un à s’améliorer et à gagner en efficacité.

  1. L’art de l’écoute

À la fin de ton feedback, demande à ton collaborateur : « Qu’est-ce je pourrais faire, ou arrêter de faire, pour t’aider ? ». Si tu ressens l’installation d’un malaise, ne tente pas de le dissiper par du bavardage. Ta disposition à l’écoute témoigne du respect et de l’intérêt pour l’autre. Tu apaises l’atmosphère, tu évites les confrontations inutiles, et tu crées un espace authentique d’échanges humains où ton collaborateur se sent en sécurité pour s’exprimer, et pourquoi pas : te confronter.

  1. Ne crains pas la rétroaction qu’on te donne

Écoute le feedback de l’autre et sois ouvert à la petite vérité dans ses paroles. La rétroaction n’est pas une vérité absolue, elle constitue un point de vue, basé sur des faits et des témoignages. Elle traduit toutefois, généralement, une petite partie de la vérité. Si tu n’arrives pas à la percevoir, remets en question ton ouverture d’esprit. « Personne n’est parfait » est une vérité scientifique, dans n’importe quels univers et domaine.

  1. Instaure une culture de rétroaction régulière dans ton équipe

La rétroaction deviendra ainsi une partie intégrante du travail et les collaborateurs s’y habitueront et apprécieront ses bienfaits :

a. Lors des rencontres individuelles, en particulier pour des débutants dans le domaine de la rétroaction (donneur et receveur).

b. En réunion d’équipe, en demandant aux participants de préparer préalablement des rétroactions les uns aux autres. La préparation donnera au donneur l’opportunité de doser ses paroles et son ton, et comme tous les participants vont être receveurs à un moment ou à un autre, ils sont ainsi rassurés. Le partage lors des réunions amène des discussions constructives, permet à chacun d’avoir des idées sur les façons de s’améliorer, favorise une plus grande cohésion et évite les médisances dans le dos.

c. Donne l’exemple et prends part aux tests psychométriques à 360 degrés.

UNE DERNIÈRE RÉFLEXION

Dans les organisations ou ailleurs, la rétroaction est au cœur de nos interactions sur lesquelles on bâtit nos relations, et par le fait même notre vie.

L’objectif d’une rétroaction est d’exprimer un retour à son interlocuteur sur ses actions/paroles – et j’ajouterai – ESPÉRER obtenir une modification ou un renforcement desdites actions/paroles. Ce changement espéré n’est pas notre responsabilité. Notre responsabilité est d’être fidèle et intègre envers nous-mêmes et notre système de valeurs. C’est aussi de tenir le miroir face à l’autre, du mieux qu’on peut; sans oublier que ce miroir est relatif à nos perceptions et valeurs individuelles, qui peuvent être très différentes des perceptions et valeurs de l’autre. Ce que l’autre fait de notre feedback lui appartient, c’est sa responsabilité.

Nous sommes en mode rétroaction face à nous-mêmes, en continu. Parfois justes et éclairées, parfois inconscientes et agressives, ces feedbacks qu’on s’auto-adresse nous transforment, et sont parfois très dommageables. Face à mon miroir : « je suis incompétente, grosse, bête, invincible, trop cool, la plus belle, etc. », je verse dans l’autoflagellation ou le self-worship. L’honnêteté et la bienveillance, pour pouvoir les offrir à l’autre, je dois apprendre à les offrir à moi-même.

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