Par Janine Karam et Jorj Helou Article paru dans l’infolettre de Novembre 2022 de l’Institut de Coaching de Montréal |
Par une soirée noire et pluvieuse du mois de novembre, debout dans le parc canin du quartier, je reçois un coup en pleine figure de la mâchoire d’un jeune husky téméraire de 1 an qui courait vers moi à pleine vitesse pour me saluer (ou m’embrasser?). Ace (le beau husky) a continué ses activités canines après l’impact, mais moi, j’avais mes 3 dents frontales brisées. J’ai dû choisir, très rapidement, consciemment ou pas, une des trois réactions qui suivent : Option 1: Je suis en douleur, mais je ne dis rien, je prends mon chien et je m’en vais chez moi, ni vu ni connu. Avec un mélange de frustration et de grande tristesse, j’appelle mon dentiste et je prends un rendez-vous d’urgence. Option 2: Je hurle de douleur et je suis fâché. Je commence à crier et chicaner le chien et son maître. Je dis tous les gros mots dans mon lexique, et en trois langues en plus! J’attrape mon chien et je m’en vais chez moi, toujours en criant dans le parc. J’appelle mon dentiste et j’exige un rendez-vous pour le lendemain. Option 3: Je suis en douleur, le maître d’Ace approche pour me voir. Je lui explique ce qui s’est passé. Je lui explique que j’apprécie bien l’accueil que son chien me réserve à chaque fois qu’il me voit, mais que sauter sur moi est un peu intimidant et que cette fois ce fut de trop. Je lui suggère d’être persévérant dans sa démarche d’apprendre à son chien à contrôler son excitation à la vue des personnes, parce que ça aurait pu être un enfant, et que vaut mieux que ce comportement s’arrête pour le bien et la sécurité de son chien et des personnes autour. Je rentre chez moi, toujours triste mais conscient d’avoir bien passé mon message, j’appelle mon dentiste. Le feedback, ce qu’il est: Il est un des mots empruntés à l’anglais que j’aime le plus. Sa notion a pris son origine dans le courant des relations humaines amorcé par Kurt Lewin et ses collaborateurs vers 1938-1939. Elle fut également formulée dans les années 1940, dans le domaine de l’ingénierie spatiale. Au terme utilisé au Québec, soit la rétroaction, je préfère la traduction littérale, soit le « retour nourrissant ». Comme cette traduction l’exprime si bien, le feedback sert à transmettre des informations à une personne sur les effets produits par ses comportements ou ses paroles dans l’objectif de lui permettre de les améliorer. Il est d’une importance capitale pour l’évolution de tout être humain et un élément essentiel de l’apprentissage et de la croissance. Les informations reçues en feedback permettent à la personne de réaliser le degré auquel elle est en cohérence avec ce qu’elle pensait vouloir dire ou faire et de s’ajuster en conséquence. Le feedback doit « nourrir celui qui le reçoit ». Son résultat est une évolution continue. Le feedback, ce qu’il n’est pas: Le feedback n’est pas un jugement de la personne elle-même (parfois par elle-même). Ce n’est pas une occasion pour (se) blâmer ou (se) trouver le coupable; c’est le domaine des juges et des législateurs. Ce n’est pas un moyen pour exprimer son mécontentement ou sa colère envers l’autre (ou soi-même); ce serait une vengeance ou un règlement de comptes. Ce n’est pas une occasion non plus de manipuler l’autre pour obtenir ce qu’on veut. Écrire un article critiquant ou louant le travail de quelqu’un est un feedback. Mais le vandalisme porté aux affiches accrochées des potentiels élus ou l’agressivité sur les réseaux sociaux contre des personnalités publiques ne le sont pas. Leur objectif, et par le fait même leur portée, ne peut, en aucun cas, aider le receveur à s’améliorer, et nourrissent surtout un climat de haine et de mépris chez le donneur, et un sentiment d’injustice chez le receveur. Pour que le feedback mérite son nom, gardons à l’esprit les 6 règles d’or suivantes : 1. Régulier et continu: On n’attend pas la réunion d’évaluation de rendement de fin d’année pour dire à son employé ses quatre vérités. On n’attend pas le bulletin de fin d’étape pour mettre au point la stratégie de réussite de son élève. Le bulletin et l’évaluation de rendement sont plutôt des occasions de récapitulation des résultats, de célébration des réussites et d’établissement de nouveaux objectifs. 2. Constructif: Nettoyer les gribouillages sur le mur avec son enfant est constructif. Le punir et le réprimander en le privant de son activité préférée l’est beaucoup moins, non? 3. Orienté vers le futur, vers les solutions: Sortir du tiroir les vieux dossiers et les vieilles rancunes c’est tenter de mettre le blâme sur l’autre. Le négatif stimule les systèmes de défense. Le feedback n’est pas un règlement de compte. Vous parlez sûrement d’une action passée, mais gardez votre vision sur le futur. Trouver une solution, un moyen de mieux faire permet d’aller de l’avant et ouvre la possibilité au progrès. 4. Spécifique: Mettre des mots sur le comportement qu’on aimerait modifier est le premier pas vers le changement. Établir un plan d’action et s’y engager est le suivant. 5. Authentique et factuel: Soyez à l’écoute des personnes qui vous entourent et apprenez à les connaitre pour que votre feedback trouve écho chez eux. Si vous donnez votre feedback à la suite d’un événement chargé en tension, attendez que la charge émotionnelle passe, mais n’attendez pas trop, il sera alors difficile de se mettre d’accord sur les faits, la mémoire est une faculté qui oublie. 6. Bienveillant: Le feedback est accompagné d’un esprit d’ouverture, de respect et d’écoute entre celui qui le donne et celui qui le reçoit. Le receveur n’est pas blessé si le donneur assure un climat de sécurité psychologique. Le receveur argumente et exprime ses besoins ou ses difficultés, et le donneur bénéficie de l’occasion pour revisiter ses pratiques et ses propos et les modifier au besoin. Vous connaissez sûrement le dicton qui dit que le chemin de l’enfer est pavé de bonnes intentions. La vie est une chaine infinie d’actions/réactions entre les individus (et de leurs absences) et nous croyons bien faire et bien dire. Le sourire d’un parent quand son fils vient de scorer un but au soccer, le regard réprobateur d’une maman quand elle découvre que son enfant a gribouillé sur les murs, le texto émotionnel qu’une personne envoie à son ex. suite à une rupture, le silence lourd derrière lequel on se mure parfois pour éviter une confrontation, la voix qui nous souffle qu’on est nul, etc. On passe notre vie à donner ou recevoir des réactions, mais seulement quand notre rétroaction nourrit la personne à laquelle elle s’adresse qu’on parle alors de feedback. Considérez-le comme un cadeau. Vous ne le voulez pas empoisonné, aussitôt jeté ou rangé dans le grenier. La façon de le présenter, son essence même et son adéquation avec le besoin de celui qui va le recevoir sont les points essentiels à considérer. Depuis l’incident, je suis revenue au parc canin, j’ai revu Ace et son maître. J’ai remarqué que le maître est beaucoup plus vigilant face aux sauts d’Ace, il ne les tolère plus et corrige son chien dès qu’il essaie de le faire. Ace est plus calme et retenu. Je ressens moins d’anxiété à côté de lui et tout le monde profite de l’expérience. Il ne suffit pas d’être bien intentionné, votre feedback se doit de faire grandir l’autre. |